Je me souviens avoir regardé, il y a de nombreuses années, un épisode de Cousteau sur l'atoll de Clipperton. Des bancs impressionnants de requins-marteaux halicornes naviguant sur des récifs vierges sont restés gravés dans ma mémoire.
Les choses avaient-elles changé autour de l’île ? Je me demandais. Compte tenu de la diminution massive des populations de requins dans le monde, quel serait aujourd’hui le statut de ces grands prédateurs autour d’un atoll aussi isolé et inhabité ? En tant que défenseur des requins, j'étais curieux de le savoir et l'idée d'organiser une expédition à Clipperton est née.
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- 1) Géographie et histoire de l'atoll de Clipperton
- 2) Conditions et environnement de plongée à Clipperton
- 3) Obtention de l'autorisation et préparation de l'expédition
- 4) À la découverte de la vie marine à Clipperton
- 5) Dévoilement des espèces endémiques de Clipperton
- 6) Recherche sur la population de requins autour de Clipperton
- 7) Défis rencontrés et réflexions finales
- 8) Le besoin de conservation
Géographie et histoire de l'atoll de Clipperton
Peu de gens reconnaissent le nom lorsqu’il est mentionné, et encore moins peuvent commencer à dire où se trouve l’atoll. Situé dans une zone connue sous le nom d’ETP (Eastern Tropical Pacific), Clipperton se trouve à environ 900 milles au sud de la côte ouest du Mexique, à la même latitude que le nord du Costa Rica.
San José del Cabo sur Baja Californie Sur est notre point de départ. Avec notre navire de type expédition et les conditions de mer agitées attendues, il nous faudra 117 heures pour atteindre cet indicateur radar.
Son emplacement lui a peut-être valu le titre d’atoll le plus isolé de la planète, mais l’histoire de Clipperton est surprenante et compliquée.
Magellan a fait la première déclaration de découverte en 1521, mais il n'a jamais été prouvé qu'il avait vu l'atoll. Une revendication ultérieure fut faite en 1711 par les Français, qui lui donnèrent le nom d'Île de la Passion parce qu'ils disaient l'avoir découverte le Vendredi Saint.
Le nom moderne vient du corsaire anglais John Clipperton, qui aurait utilisé l'île comme camp de base et y aurait peut-être enterré un trésor.
Plus récemment, plusieurs pays ont contesté la propriété de l'atoll perdu, notamment le Mexique et les États-Unis. En 1931, cependant, la question fut réglée par arbitrage international et Clipperton fut officiellement déclaré territoire français.
Aujourd'hui, toute personne souhaitant mettre le pied sur l'île ou pénétrer dans la zone des 12 milles marins autour de l'atoll doit obtenir une autorisation du gouvernement français. De telles autorisations sont rarement accordées aux étrangers et sont presque entièrement limitées aux missions scientifiques.
Conditions et environnement de plongée à Clipperton
Comme tous les atolls, Clipperton est un affleurement corallien circulaire au milieu duquel se trouve un lagon. Celle-ci est composée d’eau douce – ou plutôt d’eau de pluie stagnante – car aucun passage ne la relie à la mer.
L'eau salée ne pénètre dans le lagon que si des conditions de surf extrêmes permettent aux vagues de franchir sa barrière naturelle lors de tempêtes ou d'ouragans majeurs. Il n'y a pas de poisson et la décomposition de la matière organique a produit une couche de sulfure d'hydrogène emprisonnée dans ses eaux à partir de 10 mètres de profondeur. Ce phénomène est rencontré dans de nombreuses grottes sous-marines à travers le monde.
L'exposition au sulfure d'hydrogène et à l'eau stagnante peut provoquer des infections, des brûlures et même une cécité temporaire, c'est pourquoi la plongée dans le lagon n'est pas recommandée.
Clipperton est inhabitée depuis plus de 70 ans et, en raison de son isolement des autres masses continentales, elle a évolué de la même manière que d'autres îles isolées telles que les Galapagos.
Obtention de l'autorisation et préparation de l'expédition
Il a fallu un an de négociations avec les autorités françaises, mais nous avons finalement obtenu ce dont nous rêvions : l'autorisation d'atterrir sur Clipperton et de plonger dans ses eaux ! Nous faisons équipe avec un groupe estimé de scientifiques sur les requins qui superviseront et participeront à notre expédition de plongée de science citoyenne.
Après des mois de préparatifs et de planification, le jour du départ arrive enfin, et après cinq jours de navigation nous apercevons pour la première fois la terre.
Des nuages sombres s'attardent sur Clipperton, mais la vue de l'atoll est réconfortante.
Comme très peu de plongeurs ont exploré les récifs de l’atoll, aucune carte de plongée officielle n’existe. Nous choisissons de plonger dans différentes zones en fonction de la topographie et des conditions de surf. La recherche de noms pour les sites de plongée fera partie du programme d'animations nocturnes.
J'ai hâte de voir ce qui se cache sous la surface de l'eau incroyablement bleue qui entoure l'atoll. En descendant le long d'une paroi abrupte, mes premières impressions sont délicieuses.
À la découverte de la vie marine à Clipperton
La température de l'eau est agréablement chaude à 30°C et l'eau est très claire. Les récifs sont également remarquablement sains, avec une couverture estimée de 60 à 80 % de coraux vivants, bien au-dessus des normes du Pacifique Sud.
Le corail dur de différentes couleurs et formes est abondant. On y voit très peu de coraux mous et les parcelles de sable sont rares.
D’étonnants bancs de poissons de toutes tailles défilent devant nous. C’est un très bon début, et le paysage sous-marin est si beau que j’ai du mal à décider où pointer mon appareil photo.
Dans le cadre du programme de science citoyenne, nous collectons des images pour un recensement des espèces de récifs. Je dois donc mettre mes émotions de côté et me concentrer sur la tâche. Je commence par des photos d'identification des poissons, en ciblant méthodiquement les espèces
J'en rencontre le plus, et pour finir par les individus les moins évidents ou les plus nombreux.
L’un des premiers aspects qui me surprend est le nombre élevé de murènes à points fins. Nous en repérons souvent plusieurs dans la même zone lors de nos plongées.
À Clipperton, nul besoin de regarder sous les rochers ou dans les crevasses des coraux. Ici, les murènes sont sorties faire de l'exercice. Ils nagent le long du récif et suivent souvent les plongeurs. Ils occupent une place élevée dans la chaîne alimentaire et semblent intrépides.
La même chose peut être dite pour les carangues rouges et les carangues noires qui semblent être partout, encerclant les plongeurs. Formés en assez grand nombre, leurs tailles sont impressionnantes et ils patrouillent le récif comme s'ils en étaient propriétaires.
Le temps passe vite, jusqu'à ce que ma jauge de contenu me rappelle qu'il est temps de me diriger vers le palier de sécurité.
Dévoilement des espèces endémiques de Clipperton
Lors des plongées suivantes, notre groupe se tourne vers les espèces endémiques de l’atoll, avec l’intention de les rechercher et peut-être même d’en découvrir de nouvelles. Comme aux Galapagos, l'éloignement de Clipperton a contribué à l'évolution d'espèces que l'on ne trouve nulle part ailleurs dans le monde.
Le premier poisson endémique à retenir notre attention est le poisson-ange de Clipperton. Il est facilement reconnaissable, non seulement à sa couleur bleue mais aussi à la tache blanche près de sa queue.
Ensuite, il y a Gregory Clipperton. Cette petite demoiselle mesure 4 à 6 cm et présente des caractéristiques très distinctives. Sa tête jaune, son corps brun et sa marque blanche sur sa queue le rendent facile à repérer. Comme de nombreuses espèces de demoiselles, elle est très territoriale, notamment lorsqu’elle garde ses œufs.
Le mérou de Clipperton est également endémique. S’il est abondant sur le récif, il peut facilement être confondu avec son cousin le mérou étoilé. Il faut faire attention à la marque rougeâtre en forme de V sur son nez qui s'étend au-delà des deux yeux.
Recherche sur la population de requins autour de Clipperton
La deuxième partie de notre mission sous-marine consiste à évaluer la santé de la population de requins dans les eaux autour de l'atoll. Deux méthodes sont utilisées : l'observation sous-marine et le marquage avec des émetteurs acoustiques et satellites, qui permettent aux scientifiques d'établir la résidence des requins ainsi que les schémas de migration des adultes.
Ils espèrent relier Clipperton à des sanctuaires de requins bien connus tels que Cocos, Galapagos, Malpelo et l'archipel de Revillagigedos (Socorro), et éventuellement établir un couloir protégé pour les requins entre ces îles.
Notre première tâche consiste à récupérer et à remplacer les récepteurs. En route pour en récupérer un, notre pneumatique est escorté par un énorme groupe de centaines de grands dauphins, qui font la course avec nous et surfent sur les vagues de 2 m avec une facilité enviable.
Nous avons de la chance, car quelques dauphins suivent notre descente jusqu'au récepteur. Curieux, ils restent à distance pendant l’opération, ce qui rend difficile la concentration sur notre travail.
Lors de notre arrêt de sécurité, nous sommes accueillis par un immense banc de carangues obèses. Alors que je nage vers le bateau, je remarque un autre banc, à peine submergé, et en me rapprochant, je les reconnais comme des pompanos en acier.
C’est une fin surprenante et agréable à une plongée productive.
À chaque plongée, nous scrutons attentivement le récif et le bleu à la recherche de requins, et à chaque plongée, nous voyons de nombreux silvertips juvéniles mais seulement quelques adultes de la même espèce. Les scientifiques concluent que la zone est une pépinière de silvertip.
À de très rares occasions, nous apercevons au loin un requin adulte des Galapagos ou un requin-marteau halicorne, mais pas les murs de requins que nous espérions trouver. Cela n’est malheureusement pas surprenant, compte tenu des nombreuses traces de pêche à la palangre que nous trouvons partout sur les récifs et des nombreux filets et bouées échoués sur le rivage.
Défis rencontrés et réflexions finales
Notre séjour à Clipperton a été bref. Nous n'avons pas pu explorer le côté nord de l'atoll en raison des vents violents, et un scénario plus optimiste serait que les requins préfèrent le côté nord car il est exposé et les courants y sont plus forts. Il est également possible qu'en raison des effets persistants du phénomène El Niño, les requins se trouvent simplement dans des eaux plus profondes.
Alors que Clipperton disparaît lentement au loin, nous avons l’impression de n’avoir fait qu’effleurer la surface de ce que cet écosystème unique a à offrir.
Si l’éloignement de l’atoll a limité le nombre d’espèces qui visitent ou habitent ses eaux, la couverture corallienne et la biomasse de Clipperton sont impressionnantes. Nous avons manqué de temps pour photographier et cataloguer les petites créatures qui recèlent sans aucun doute leurs propres surprises.
Le besoin de conservation
Comme beaucoup d’îles isolées, Clipperton est soumise à de fortes pressions. La pêche intensive de ses eaux n’est pas sans conséquences. Protéger l’atoll apparaît désormais vital pour lui permettre de redevenir l’oasis sous-marine de vie qu’il était autrefois.